Le water-polo vient du polo sans water. Au début du siècle, les gros
bonnets des sports d’eau s’affrontait dans des clubs privés. Les poloïstes chevauchaient des tonneaux (on a, depuis, trouvé plus simple: le rétropédalage) et se balançaient une vessie de porc gonflée d’eau.
C’est aujourd’hui, avec le football, la plus ancienne des disciplines olympiques (1900), mais il traîne une réputation sulfureuse de sport de brutes.
Quels sont donc les dessous du water-polo, dont le tournoi, marqué par la traditionnelle opposition entre l’école offensive (Italie, Espagne) et la défensive (Croatie, Yougoslavie), s’achèvera dimanche? Immersion technico-tactique avec Jean-Paul Clémençon, entraîneur de l’équipe nationale de 1978 à 1988, aujourd’hui directeur technique national de la fédé.
Il n’est pas utile d’«avoir trempé», disent les poloïstes, pour comprendre une donnée de base: ce qui se joue, dans ce sport où le corps est à 85% immergé en moyenne, n’est pas forcément ce qui se voit. Le water-polo est «un sport à lisibilité limitée», euphémise Clémençon. Limitée mais concentrée. Les mouvements, les amplitudes, les pressions, les coups, se multiplient à une vitesse grand V. Toute la nature du jeu consiste à créer le surnombre. Soit en prenant le meilleur sur son vis-à-vis lors des duels: «Il faut alors solliciter la charge de l’adversaire, s’en servir pour l’amener d’un côté. L’idée de base: passer de l’opposition à la poursuite. Et là, chercher à le distancer…» Soit en le contraignant à la faute. S’ensuit une expulsion temporaire de vingt secondes, voire un penalty si la faute a lieu dans les 4 mètres… «La trilogie des attitudes proscrites: tenir, tirer, enfoncer», dit Jean Demey, arbitre international. La règle d’or: on ne peut pas «intervenir» sur un joueur qui n’a pas le ballon. Les trucs les plus efficaces sont les plus discrets. «Une poussée sur la hanche, histoire de créer un léger déséquilibre et prendre le large, est souvent ce qu’il y a de mieux», dit un ex-international belge. Les trucs, en water-polo, s’appellent des spécials. Le plus répandu: le coup de coude. Les plus finauds: enrouler sa jambe autour de celle de l’autre pour le déstabiliser; tapoter sur le bras tendu du crawleur pour lui fait perdre l’avantage; mettre la main sur une épaule pour prendre un appui de plus.
Les bonnets sont nés pour permettre de reconnaître les joueurs dans l’eau. Pas uniquement, donc, pour éviter les crêpages de chignon. On leur a adjoint des oreillettes, dans les années 70, avant tout pour protéger les oreilles, principales victimes, avec les dents, des coups de coude qui se perdent…
Le port de deux maillots de bain est obligatoire. Les pincements, les empoignades sous-ombilicales ont quasiment disparu. Trop visibles. Le coup de pied se voit, car il oblige son auteur à se mettre sur le dos. Le coup de tête est désormais «un truc de voyou». Tout comme le jet de flotte dans les yeux, «un truc de plouc», qui se «pratique au mieux dans le plan du Club Med». Le ballon dans la gueule «peut encore faire mal», mais, dit Clémençon, «je connais un joueur de l’équipe de France dont je ne citerais pas le nom qui a fini sa carrière comme ça». Fini les beaux principes du genre: «Si tu n’as pas pu attraper le joueur, attrape la balle.»
Le ballon n’a pas toujours été en caoutchouc, ni pesé 450 grammes ni mesuré 40 centimètres de circonférence. Dans les années 60, le cuir habillait la balle. Qui, en fin de partie, pesait des tonnes, et «servait souvent comme arme…». Clémençon, qui avoue toujours préférer «l’intelligence créatrice que la destruction défensive», concède bien quelques entorses aux principes. «Avec les jeunes, on a souvent fait des séances baston. On apprenait comment placer son coude à la réception d’une balle pour pouvoir anticiper la charge de l’adversaire.»
Le jeu est tiraillé entre deux tendances. «La baskettisation: la défense de zone qui limite les contacts. La rugbycisation: la défense individuelle qui raffole des contacts.» Mais le physique reste une donnée de base: les six hommes de champ (sans le goal) nagent entre 2,5 et 4,5 km dans quatre quart-temps de sept minutes chacun. Aujourd’hui, concède un arbitre, «les fautes sont plus voyantes qu’avant, parce que les attaquants sont tellement forts qu’on est obligé de tolérer des actions limite. Il faut laisser les avantages se créer». La volonté de simplifier les règles va dans ce sens. Pour éviter un jeu trop haché, on est passé d’une moyenne de 140 à 100 coups de sifflets par match. Et l’évolution est au sifflet en pointillé. D’où un jeu libre. Des attaques. Des spécials .
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